Article [ Article 019 - 13/02/2024]

Révision à la baisse de l’hypothèse de fécondité à long terme

Depuis 2009, une baisse de la natalité à expliquer

Le nombre de naissances en Belgique, comme dans beaucoup d’autres pays industrialisés, diminue depuis 2009. Les facteurs explicatifs de cette évolution sont multiples. En particulier, le nombre de naissances dépend de deux composantes : le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants et le nombre moyen d’enfants par femme (ce dernier étant un indicateur de fécondité).

Durant les années 2000, le nombre de naissances a sensiblement augmenté, suite à la hausse du nombre de femmes en âge d’avoir des enfants mais aussi de la fécondité. Cette reprise de la fécondité (de 1,57 enfant par femme en 1998 à 1,86 en 2008), qui s’est amorcée au cours des années 1990, s’explique par le recul de l’âge de la mère à la maternité durant les décennies précédentes. L’allongement de la durée des études, ainsi que l’augmentation de la participation des femmes au  marché du travail ont en effet poussé les couples à avoir leurs enfants à un âge plus tardif. Dans les années 2000, l’effet « récupération » s’est concrétisé par une hausse de la fécondité.

Depuis 2009-2010, la baisse du nombre de naissances s’explique principalement par la réduction du nombre moyen d’enfants par femme. Dans un premier temps, cette diminution était expliquée par l’impact de la crise économique et financière de 2008-2009. En effet, en période de récession, les couples, en particulier les plus jeunes, ont tendance à retarder le projet de fonder ou d’agrandir la famille, notamment suite à une situation moins favorable sur le marché du travail (hausse du chômage, moins de contrats à durée indéterminée) et à un accès plus difficile au logement. Cependant, par la suite, la fécondité n’est pas repartie à la hausse, alors que les indicateurs économiques étaient favorables (avant la pandémie de la COVID-19). Cette évolution à la baisse, qui perdure encore à l’heure actuelle, a incité les démographes à rechercher d’autres explications. Il apparait que l’évolution actuelle de la société et les grands défis qui encadrent cette évolution jouent non seulement sur l’âge à la maternité, mais aussi sur le nombre d’enfants désiré par les couples.

Révision de l’hypothèse de fécondité en projection : deux méthodes complémentaires

Dans ce contexte, le Bureau fédéral du Plan a décidé de revoir l’hypothèse de fécondité de long terme pour les projections démographiques à l’aide de deux méthodes complémentaires.

La première méthode consiste en une enquête auprès d’experts en démographie, nationaux et internationaux, sur le niveau de fécondité attendu à long terme en Belgique. Cette méthode (Expert-based model) est basée sur les connaissances et expertises scientifiques dans un domaine particulier plutôt que sur des données quantitatives. Une enquête similaire, uniquement avec des experts nationaux, avait été réalisée en 2019. Celle-ci a donc été mise à jour et élargie aux experts internationaux.

Pour la deuxième méthode, le Bureau fédéral du Plan a collaboré avec le Centre for Population, Family & Health de l’Université d’Anvers qui développe le modèle de microsimulation ReNaissance. Ce modèle applique à chaque femme actuelle et future de 15 à 49 ans en Belgique une probabilité conditionnelle de donner naissance à un enfant de rang x, selon l’âge de la mère et la durée écoulée depuis la dernière naissance. Sur la base de ce modèle, il est possible de projeter le nombre moyen d’enfants par femme pour les prochaines décennies, bien que ce modèle soit mieux adapté à un horizon de projection plus court.

Ces deux méthodes sont complémentaires car :

• Le modèle ReNaissance prend en compte en projection l’histoire génésique des femmes (nombre d’enfants déjà nés, intervalle entre les naissances, âge de la mère à la naissance) présentes dans la population résidant en Belgique.
• Les experts intègrent implicitement des changements sociétaux (voir ci-dessous) qui peuvent avoir des conséquences à plus long terme sur le niveau de la fécondité, ce dont ne tient pas compte le modèle ReNaissance dans son développement actuel.

Une description plus détaillée de ces deux méthodes sera publiée ultérieurement. Le présent article se concentre sur les résultats principaux et sur l’impact de la révision de l’hypothèse sur les projections démographiques publiées en février 2024 (Perspectives démographiques 2023-2070, Bureau fédéral du Plan et Statbel).

1,6 : le nombre moyen d’enfants par femme en 2070 en Belgique selon les avis d’experts

Au niveau de la Belgique, pour le scénario de référence, les experts retiennent un niveau moyen de 1,6 enfant par femme en 2070. Ce niveau est inférieur à celui observé fin des années 2000 (1,86 en 2010), mais supérieur à celui actuellement observé (1,52).

Les arguments des experts pour ne pas tendre vers un niveau plus proche de 2 sont les suivants :

• les difficultés à combiner vie professionnelle et familiale ;
• l’augmentation des incertitudes et insécurités aux niveaux individuel et mondial ;
• l’instabilité au niveau des relations de couple et de la carrière professionnelle ;
• le coût du logement.

Les éléments qui justifient une légère reprise de la fécondité par rapport à son niveau actuel ont trait au caractère « conjoncturel » de la fécondité. En particulier, la fécondité oscille depuis les années 1980 entre 1,5 et 1,8 et l’on se situe actuellement dans une phase de basse fécondité. Certains experts avancent également le rôle de l’Etat pour soutenir les couples à avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent.

Cette légère reprise de la fécondité est confirmée par les résultats du modèle ReNaissance

La projection du modèle ReNaissance confirme cette hypothèse de reprise de la fécondité dans les prochaines années. Ce résultat est la conséquence de la tendance à la baisse des probabilités de donner naissance à un enfant chez les femmes de moins de 30 ans, alors que les probabilités de donner naissance chez les femmes de 30 à 40 ans restent stables, voire augmentent (en particulier chez les femmes de ce groupe d’âge qui n’ont pas encore d’enfants). Selon les résultats de ce modèle, le nombre moyen d’enfants par femme atteint 1,62 vers 2035.

Hypothèse finale retenue par le Bureau fédéral du Plan pour les projections démographiques

L’hypothèse de fécondité se base à moyen terme sur le modèle ReNaissance et au-delà sur l’avis des experts. Concrètement, la fécondité progresse jusque 1,62 enfant par femme en 2035, puis tend vers le niveau moyen de long terme exprimé par les experts, à savoir 1,6 enfant par femme en 2070. 

L’hypothèse découlant de l’avis des experts est retenue à long terme pour les deux raisons suivantes :

• Plus l’horizon de projection est lointain, plus la structure de la population se modifie. Les résultats du modèle ReNaissance deviennent par conséquent moins adéquats car ils se basent sur la structure de la population actuellement observée en Belgique.
• Les experts intègrent implicitement des changements sociétaux à long terme non intégrés dans le modèle ReNaissance (voir ci-dessus).

Révision à la baisse de l’hypothèse de fécondité : impact sur les projections démographiques

Afin d’analyser l’impact de la révision à la baisse de la fécondité sur la croissance de la population, un scénario alternatif de « fécondité haute » a été réalisé selon l’hypothèse de long terme retenue dans les projections effectuées depuis 2020, soit un taux de fécondité de 1,7 en 2070.

Le nombre de naissances en Belgique dans le scénario « fécondité haute » est de 135 000 en 2070 contre un peu plus de 120 000 naissances dans le scénario de référence des perspectives démographiques 2023-2070, soit un écart de 11%.

L’évolution moins dynamique du nombre de naissances se répercute progressivement par une moindre croissance de la population. En retenant une hypothèse de 1,7 enfant par femme à long terme dans le scénario alternatif de fécondité haute, le nombre total d’habitants en Belgique en 2070 est de 13,2 millions d’habitants contre 12,9 millions d’habitants dans la projection de référence (avec 1,6 enfant par femme), soit une différence d’un peu plus de 350 000 habitants. Exprimé en taux de croissance, le nombre d’habitants en Belgique augmente en moyenne de 0,20% par an dans le scénario de référence contre 0,26% par an dans le scénario « fécondité haute ».

Révision également au niveau régional

Plusieurs hypothèses des perspectives démographiques sont prises au niveau régional, dont le niveau de fécondité. La révision de l’hypothèse de fécondité se décline dès lors aussi au niveau régional. Lors de l’enquête, les experts nationaux ont également déterminé un niveau de fécondité à long terme par région ; et le modèle ReNaissance a été exploité au niveau régional. Ces résultats ont été analysés et discutés entre experts afin d’assurer une cohérence avec le niveau national. Il en ressort une convergence à long terme vers un niveau de 1,6 enfant par femme entre les trois régions, basée sur l’observation à l’heure actuelle de cette convergence.

L’impact de la révision à la baisse de la fécondité sur le nombre de naissances en 2070 est de -8% en Région flamande et de - 9% en Région wallonne, pour lesquelles le taux de fécondité passe de 1,7 selon l’hypothèse de long terme retenue dans les projections effectuées depuis 2020 à 1,6 dans le scénario de référence de février 2024. Quant à la Région de Bruxelles-Capitale, la révision est plus importante : le nombre moyen d’enfants par femme passe de 1,9 à 1,6. Cela se traduit par une baisse du nombre de naissances de -20% en 2070.

Cette évolution moins dynamique du nombre de naissances se répercute sur l’évolution du solde naturel (les naissances moins les décès), et par conséquent sur la croissance de la population. En particulier, la révision à la baisse de la fécondité mène à une croissance négative de la population dans la Région de Bruxelles-Capitale (vers 2035) et dans la Région wallonne (vers 2045). La croissance de la population flamande reste positive sur l’ensemble de la période de projection, malgré la révision à la baisse de la fécondité.