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La crise de la COVID-19 nuit à la santé mentale de la population en Belgique, alors que la situation était déjà préoccupante avant la crise. Les états de détresse psychologique ont augmenté entre 2004 et 2018. Il en va de même pour les dépressions. En outre, la mortalité par suicide en Belgique – même si elle diminue – reste élevée en comparaison avec les chiffres européens. Les statistiques de la sécurité sociale relatives à la période pré-COVID reflètent ces tendances. Les troubles psychiques sont pour beaucoup dans l’évolution à la hausse des incapacités de travail de longue durée. Les antidépresseurs et les régulateurs de l’humeur sont à l'origine de la consommation croissante de médicaments psychotropes remboursés. Les problèmes de santé mentale freinent le potentiel de croissance de l'emploi et de la productivité et génèrent des coûts économiques directs sous la forme de dépenses de revenus de remplacement et de soins de santé. Au vu des évolutions et des perspectives, une réflexion s’impose sur la stratégie à mener en Belgique en matière de santé mentale en période post-COVID-19.
Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. En conséquence, la santé mentale ne se résume pas à l’absence d’un trouble ou d’une déficience mentale : la santé mentale peut donc être décrite en termes positifs comme un état de bien-être qui permet aux individus de réaliser leurs capacités, de surmonter les tensions normales de la vie, d'accomplir un travail productif et de contribuer à la vie de leur communauté.
En mai 2020, après que la Belgique a atteint le pic de la première vague, le Conseil supérieur de santé (ci-après dénommé 'le Conseil') déclare que la pandémie de la COVID-19 aura des répercussions à long terme sur la santé mentale de la population. Les mesures prises pour limiter les contacts sociaux et, partant, les risques liés à la propagation du virus sont le principal facteur mis en cause. Selon le Conseil, une partie importante de la population présentera tôt ou tard des troubles liés au stress qui, dans une minorité de cas, évolueront vers un syndrome de stress post-traumatique. Les personnes qui vivent séparées de leur famille ou de leurs proches sont exposées à un risque accru de troubles de la santé mentale, comme la dépression et l’anxiété. Le Conseil pointe aussi les répercussions à long terme de la pandémie pour la santé de l’ensemble des travailleurs et l’importance du travail pour la relance de la société.
Le Conseil indique que certains facteurs de risque, surtout lorsqu'ils sont combinés, rendent certains groupes de population particulièrement vulnérables aux crises caractérisées par des incertitudes de longue durée. Ces facteurs de risque incluent notamment le statut socioéconomique et les risques éventuels de le perdre, même en partie (par exemple, perte permanente ou non de son emploi) ainsi que des problèmes psychiques préexistants. Le réseau social joue également un rôle : le manque de soutien social et la solitude aggravent les problèmes de santé mentale.
En décembre 2020, lors du pic de la deuxième vague, Sciensano a publié des chiffres qui montrent que la santé mentale des Belges s’est déteriorée. Parmi les 18 ans et plus, 64 % ne sont pas satisfaits de leurs contacts sociaux, presque un doublement de ce pourcentage par rapport à septembre 2020. Et 40 % ressentent peu de soutien social, avec une augmentation de presqu'un tiers depuis l'été. Les troubles de l’anxiété et les troubles dépressifs suivent une évolution en U. En juin 2020, 22 % de la population environ fait état d’un de ces troubles. Ce pourcentage baisse à 16 % environ en été et à l’automne, pour ensuite repartir à la hausse et atteindre à nouveau les 22 % initiaux. Au travers de la crise, une constance surprend : plus de sept personnes sur dix, soit une proportion très élevée, se plaignent de troubles du sommeil.
Ces troubles influent sur la résistance physique, psychologique et cognitive de la population, bref l’état de complet bien-être auquel fait référence l’Organisation mondiale de la santé. Les chiffres de Sciensano confirment globalement les perspectives du Conseil sur la vulnérabilité de certains groupes de population : les 18-24 ans, les personnes isolées avec ou sans enfant(s) et les allocataires sociaux ont des difficultés à préserver leur santé mentale.
Si la santé mentale de la population belge est dégradée par la crise de la COVID-19, comment se portaitelle auparavant ? Le Bureau fédéral du Plan peut répondre à cette question par le biais de plusieurs indicateurs qu’il a calculés, certains pour la première fois, avec la collaboration de Sciensano et de l’INAMI. L’idée au départ consistait à décrire l'évolution générale à long terme de la santé mentale en Belgique à l’aide d’un ensemble limité d'indicateurs. Cette série compte trois indicateurs d’état pour décrire la santé mentale de la population en Belgique. Le graphique ci-dessous illustre, sur la base des données disponibles entre 1997 et 2018, l’évolution générale de situations de détresse psychologique dans la population, des dépressions et des décès dus aux suicides.
Une personne est considérée comme vivant dans une situation de détresse psychologique si elle mentionne au moins quatre symptômes parmi douze. Il s’agit notamment d’un manque de détermination, de plaisir dans les activités habituelles ou d’un manque de confiance en soi. La proportion de la population de 15 ans et plus présentant des symptômes de Détresse psychologique a baissé de 17,2 % en 1997 à moins de 13 % en 2004. À partir de 2008, cet indicateur est reparti à la hausse pour atteindre son plus haut niveau en 2013, soit 17,9 %. En 2018, cet indicateur s’établissait encore à un niveau comparable : 17,7 %.
Les chiffres sont systématiquement plus élevés pour les femmes et les personnes percevant de faibles revenus. Le symptôme qui est le plus souvent cité, soit par 30 % environ de la population en 2018, est une tension ou un stress constant.
La proportion de la population âgée de 15 ans et plus qui déclare avoir souffert de dépression au cours des 12 derniers mois a diminué entre 1997 (6,5 % de la population) et 2004 (5,9 %). Cet indicateur a ensuite augmenté pour renouer avec sa valeur initiale en 2013, et a poursuivi sa progression jusqu’à 7,4 % en 2018. Dans ce cas-ci aussi, les chiffres sont systématiquement plus élevés pour les femmes et les personnes aux faibles revenus.
Il faut remarquer qu’il s’agit de données d'enquête rapportées par les intéressés et non de diagnostics médicaux. Une dépression est une maladie qui entrave sérieusement le fonctionnement au quotidien. Elle se caractérise par une humeur sombre qui s’accompagne d’une perte d'intérêt ou de plaisir dans pratiquement toutes les activités et qui ne s’explique pas par d’autres facteurs. Dans les cas les plus graves, une dépression peut déboucher sur un suicide.
En Belgique, la mortalité par suicide a globalement reculé de 21,6 suicides pour 100 000 habitants en 2000 à 17 en 2016. Ce chiffre est brièvement et légèrement reparti à la hausse en 2008 et le taux de mortalité s'est alors stabilisé à 18,9 en moyenne jusqu'en 2012. Ensuite, il a à nouveau baissé régulièrement.
Les hommes sont plus de 2,5 fois plus touchés par la mortalité par suicide que les femmes. Si l’on considère la stigmatisation qui entoure cette problématique et les limites inhérentes aux données comparables au niveau international, il semble néanmoins que la mortalité par suicide en Belgique est une des plus élevées à l’échelle de l’Union européenne.
Les deux indicateurs de politique suivants décrivent certains aspects – certainement pas tous – de la réponse des autorités, c'est-à-dire les mesures et dispositions prises pour influencer la santé mentale. Ces indicateurs se fondent sur des données administratives sur les dispositifs de la sécurité sociale en Belgique.
Entre 2005 et 2019, la part des travailleurs du secteur privé en incapacité de travail de longue durée (de plus d’une année) a augmenté de 6,5 % à 11,1 %.
Ces personnes ont droit à une indemnité d’incapacité de travail parce qu’elles ne sont plus à même de travailler en raison d’une maladie ou d’un accident (à l’exception des maladies professionnelles ou des accidents du travail, couverts par d’autres dispositifs). Les pathologies liées à la santé mentale expliquent dans une large mesure cette évolution à la hausse.
En 2005, les troubles mentaux et du comportement représentaient, avec une part de 31,6 %, la cause principale des incapacités de travail de longue durée. Cette part a progressé régulièrement pour atteindre 35,8 % en 2019, ce qui représente une hausse de 13 %.
Les médicaments psychotropes sont destinés à traiter les maladies mentales et les troubles psychiques. Le graphique ci-dessous présente l’évolution de l’ensemble des médicaments de ce type qui sont délivrés en pharmacies publiques (hors pharmacies hospitalières) et remboursés au moins partiellement par l’assurance obligatoire soins de santé en Belgique.
Pour l’ensemble des médicaments psychotropes, le nombre de doses pour 1 000 personnes/jour a progressé de 79,5 en 2008 à 97,3 en 2018. Cette croissance de 22,4 % est attribuable presque exclusivement aux antidépresseurs et aux régulateurs de l'humeur. En 2008, 4 médicaments psychotropes consommés sur 5 étaient un antidépresseur ou un régulateur de l’humeur. Cela représente 64 doses pour 1 000 personnes/jour. Dix ans plus tard, ce chiffre est passé à 79,7, soit une progression de 24,4 %.
L’évolution à long terme de la santé mentale avant la pandémie génère des coûts considérables, et pas uniquement sur le plan humain. L’OCDE estime le coût des problèmes de santé mentale dans l’UE28 en 2015 à 4,1 % du PIB. En Belgique, ce coût est de 5,1 %. Les dépenses de revenus de remplacement et de traitement des pathologies ou troubles contribuent directement à ce coût (à hauteur respectivement de 1,3 % et 1,4 % dans le cas de la Belgique). Le taux d'emploi et la productivité plus faibles des personnes souffrant de problèmes de santé mentale contribuent aussi indirectement à ce coût (2,3 % dans le cas de la Belgique).
La campagne de vaccination contre le coronavirus étant lancée en ce mois de janvier 2021, la fin de la pandémie semble proche, du moins on peut l'espérer. Il s’impose dès lors de mener une réflexion sur la stratégie post-COVID-19 à mener en matière de santé mentale. Cette réflexion est nécessaire notamment pour continuer à garantir la prise en charge des groupes vulnérables mentionnés plus haut. Il faut également être attentif au personnel soignant qui est mis à rude épreuve par la pandémie de Covid-19. Sur la base des perspectives du Conseil supérieur de la santé et des constats de Sciensano, on peut supposer que la demande de soins de santé mentale augmentera à long terme. On peut s’attendre aussi à ce que la croissance de l’emploi et de la productivité soit plus faible.
A l'occasion de la Journée mondiale de la santé mentale du 10 octobre 2020, qui était placée sous le signe de la pandémie de la COVID-19, l’Organisation mondiale de la santé a attiré l’attention sur cette question. Du reste, cette orientation concorde parfaitement avec les Objectifs de développement durable qu'en 2015 la Belgique s’est engagée à atteindre : la cible 3.4 vise à promouvoir la santé mentale et le bien-être.
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